HAIDAR VELA NAIRUSZ — Un lot de céramiques du VIIe siècle à Halabiya (Syrie)

Un lot de céramiques du VIIe siècle à Halabiya (Syrie)
Nairusz HAIDAR VELA, Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

            Les niveaux de transition byzantino-omeyyade demeurent mal connus en Syrie, en dépit de l’importance qu’ils revêtent pour la compréhension des sites. Longtemps à tort, les chercheurs ont considéré que la majorité des villes et villages connaissaient leur occupation interrompue à la fin de l’époque byzantine. Néanmoins, depuis quelques décennies, les fouilles stratigraphiques ont permis d’attester une continuité de l’occupation de la période byzantine à l’époque islamique sur de nombreux sites en Syrie du Nord. L’absence de nouvelles constructions ne traduit plus nécessairement un abandon et la transition byzantino-omeyyade est mieux appréciée, ce qui a permis de porter un nouveau regard sur cette période.

            Dans le domaine de la céramologie, nous sommes toutefois, encore aujourd’hui, confrontés à un manque de publications issues de sites ayant une occupation continue de l’époque byzantine à l’époque islamique. Le passage de la céramique byzantine à la céramique omeyyade n’est donc pas toujours facile à percevoir dans cette région où les productions, tout en restant tributaires des caractéristiques locales, s’imprègnent d’influences extérieures. Loin de rompre totalement avec la tradition de l’Antiquité classique, la céramique du VIIe s. est empreinte de caractéristiques propres à l’époque protobyzantine auxquelles se mêlent de nouvelles propriétés qui se développeront tout au long des premiers temps de l’Islam ; le matériel issu des fouilles de Halabiya, sur l’Euphrate, constitue un témoignage explicite de ce phénomène.

            À travers le matériel issu d’un secteur d’habitat de Halabiya, exceptionnel par son état de conservation, cette présentation dressera un panorama des poteries en usage durant la phase de transition byzantino-omeyyade. De nombreux contextes liés à cette occupation ont été mis au jour, livrant des poteries de tradition byzantine associées à de nouvelles formes désormais caractéristiques des répertoires arabo-musulmans. Nous nous attacherons donc à présenter les caractéristiques héritées des productions protobyzantines ainsi que les « influences » proprement islamiques.

VANDERHEYDEN LORELEI – La correspondance copte de Dioscore d’Aphrodité

La correspondance copte de Dioscore d’Aphrodité
(VIe siècle, Moyenne Égypte).
Loreleï Vanderheyden, École pratique des hautes études.

En 1905, Gustave Lefebvre, alors inspecteur des antiquités égyptiennes, découvre une jarre pleine de papyrus, lors d’une fouille officielle entre Assiout (Lycopolis) et Akhmim (Panopolis), dans le village de Kûm Ishqâw (anciennement Aphrodité). Plus de six cent cinquante documents écrits en grec et en copte au VIe siècle de notre ère sont alors mis au jour.

Très vite les différents spécialistes s’aperçoivent que la personnalité centrale de cet ensemble était un certain Dioscore, fils d’Apollôs, et qu’il était le rédacteur d’une partie des documents de la jarre de Kûm Ishqâw. Les documents de la jarre, c’est-à-dire ses papiers d’affaire, sa correspondance, ses poèmes mais aussi sa bibliothèque, sont aujourd’hui désignés par l’expression « archives de Dioscore ».

Ce lot a suscité dès sa découverte un double intérêt, à la fois littéraire et historique, car cet ensemble a livré d’une part, le premier exemplaire bien conservé de certaines comédies de Ménandre et d’autre part, six cent documents de tous genres couvrant tous les aspects de l’histoire sociale, administrative, économique et religieuse de cet important village de Thébaïde, avant que ce dernier ne passe sous la domination arabe.

Pourtant, un siècle de recherches et de publications sur les archives de Dioscore n’a pas encore permis d’appréhender le dossier dans sa totalité ni d’épuiser les multiples facettes du plus important ensemble de documents que nous possédons pour l’Égypte byzantine. Bien que certains textes nouveaux restent à éditer, la partie grecque des archives est largement connue et documentée. Le versant copte a été quant à lui largement sous-estimé : il a fallu attendre les travaux pionniers de Leslie MacCoull, dans les années 1980 et 1990 pour que le corpus copte sorte quelque peu de l’indifférence où il avait été jusque là cantonné. Cette lacune nous prive pour l’instant d’une compréhension globale des archives de Dioscore. Mon travail se propose donc, en améliorant la connaissance des pièces coptes, de réduire ce déséquilibre et de parvenir à une meilleure intégration des deux composantes de ces archives.

Ces sources complètent, en effet, parfois les documents grecs, et apportent également à l’étude de ces archives un éclairage neuf sur le contexte socio-culturel de l’histoire du village d’Aphrodité. Ils mentionnent notamment des personnages absents des sources grecques, permettant ainsi une meilleure identification prosopographique de cette région, dans la mesure où les lettres coptes privées documentent une partie de la population absente des textes administratifs grecs. Ces documents présentent donc des réalités et des caractères différents de ceux présents dans les écrits officiels. Ces papyrus coptes ont également un intérêt linguistique certain : ils posent le problème de l’usage du copte dans une société où, si le copte était la langue parlée, le grec était celle de l’administration. Or les archives de Dioscore sont parmi les premières à établir le rapport entre ces deux langues. Je cherche donc à comprendre pourquoi une telle différence existe entre ces deux versants d’un même ensemble archivistique : l’étude de ces lettres aidera à comprendre qui avait recours à cette langue, dans quelles conditions et pour quels types de documents. En d’autres termes, elle posera le problème des rapports entre la langue nationale des Égyptiens et celle du pouvoir byzantin, à une époque où la première commence à gagner du terrain sur la seconde dans le domaine des actes juridiques.

Je rassemble donc le corpus des lettres coptes des archives de Dioscore sous la forme d’une édition commentée. Les lettres constituent, en effet, le type documentaire le plus représenté dans la composante copte de ces archives. Par ailleurs, dans la mesure où elles sont presque toujours privées, elles complètent le pan grec où ces dernières sont quasiment absentes.

Le corpus des lettres coptes compte une trentaine de pièces éditées et au moins une dizaine d’inédits déjà repérés. La réédition des premières, que je me propose de collationner avec les originaux devrait apporter de nombreux gains textuels et faire progresser leur compréhension. Quant aux inédits, ils appartiennent principalement aux collections des Musées Égyptien et Copte du Caire, de Londres et de Berlin. Un travail d’heuristique dans les diverses collections qui contiennent des papyrus des archives de Dioscore devrait me permettre, je l’espère, d’en augmenter le nombre, la totalité du pan copte des archives n’ayant pas été complètement explorée. Cette édition sera accompagnée d’une synthèse qui posera le problème du rapport entre langue grecque et copte dans un milieu villageois du VIe siècle, comme celui d’Aphrodité. Elle étudiera le dialecte copte en usage dans cette région et analysera les données historiques susceptibles de compléter celles livrées par les archives grecques.

Les différents sujets soulevés par cette étude sont susceptibles d’intéresser nombre de spécialistes : non seulement les papyrologues et coptisants, mais plus largement les historiens de l’Antiquité tardive, du monachisme et du bilinguisme, problématique centrale de mon travail.

RAFIYENKO DARIYA – Historiographic rewriting : the main tendencies in Peter the Patriacian

Historiographic rewriting: the main tendencies in Peter the Patrician (VIth c.)Dariya Rafiyenko, Université de Cologne.

The Byzantine historians considered the reception and treatment of the works of their predecessors as one of their main tasks. This aspect of the historiography, referred to as historiographic rewriting, implies a complex process of updating and compiling, summarizing and paraphrasing, adding and excising the historiographic data. The reasons for such a “flexible” approach to historiographic rewriting was assumedly to accommodate the historiographic knowledge to the changing needs of the society, where political, social and religious reorganization took place. This presupposes that the rewriting was a conscious creative act that had its literary, ideological and cultural reasons and that this act is worth of independent research.

The present speech aims to show the main tendencies in the historiographic rewriting that can be observed in the historical fragments of Peter the Patrician, a Late Antique or rather Early Byzantine official, diplomat and historian of the 6th century. His historical work, now extant in a considerable number of fragments, dealt with the history of the Roman Empire probably beginning with the second half of the 1st century BC and reaching at least the 4th century. His main source for the period from about 42 BC to 229 AD was the Roman History of Dio Cassius (ca. 150 – 229 AD). Following rather close to the narrative of Dio, Peter still shows considerable discrepancies with regard to his source. A thorough analysis of these discrepancies can show us the probable motivation for the main classes of the changes that can be observed. On the basis of this analysis I will try to show that reshaping the narrative on various levels, simplification and alteration of the content as well as ideological restructuring of the content belong to the main consequences I could observe.

NARRO ANGEL – Christianisme et monde classique dans la Vie et Miracles de Sainte Thècle

Christianisme et monde classique dans la Vie et Miracles de Sainte Thècle
(Ve siècle)
Ángel Narro, Université de Valence.

Le texte de la Vie et Miracles de Sainte Thècle édité par Gilbert Dagron et daté vers la moitié du cinquième siècle nous montre un ouvrage chrétien résultat de l’agrégation de deux narrations indépendants, mais propres du genre hagiographique : une récit de la vie de Thècle, en réalité une réélaboration des Actes de Paul et Thècle (II s.), et un recueil de miracles de la sainte, tous les deux composés par le même écrivain dans son sanctuaire de Séleucie (Isaurie).

La thèse de doctorat que nous sommes en train de réaliser dans l’Universitat de València (Espagne), sous la direction du professeur Jordi Redondo, analyse sur les origines et le développement de l’hagiographie grecque à travers la figure de Thècle, cette jeune fille qui apparaît dans les Actes de Paul et Thècle et qui restera dans les milieux chrétiens orientaux comme la προτομάρτυς par excellence et comme une des saintes les plus connues et vénérées, surtout lorsqu’on évoque la virginité en tant que valeur et qualité morale.

Notre intention dans cette communication est celle de nous occuper d’un aspect très important de la partie finale de notre travail de recherche, qui, ayant commencé vers la fin du second siècle, s’achève au cinquième, dans cette première floraison de l’hagiographie byzantine, avec la Vie et Miracles de Sainte Thècle : la coexistence dans ce texte de la morale religieuse chrétienne et de la formation et le bagage culturel classique. Les sources classiques que l’on observe dans ce texte placé dans ce courant littéraire hagiographique nous montrent la particularité du monde byzantin, héritier de la culture grec, mais en même temps profondément chrétien, et de la situation particulière de la ville de Séleucie qu’on peut dégager à partir de celui-ci. Le premier objectif de notre intervention donc sera celui d’identifier les modèles littéraires chrétiens (Textes canoniques, apocryphes, apologétiques…) et classiques (Homère, Hérodote…) présents dans le texte, le second celui d’interpréter les aspects linguistiques les plus intéressants et, finalement celui d’analyser leurs implications dans le contexte particulier du cinquième siècle et de la ville de Séleucie.

KUTTNER-HOMS STANISLAS – Interpréter le De Signis de Nicétas Chôniastès

Interpréter le De Signis de Nicétas Chôniatès, ou : le mirage de l’historien
Stanislas Kuttner-Homs, Université de Caen Basse-Normandie.

            Dans l’œuvre de Nicétas Chôniatès, historien et orateur des XIIe-XIIIe siècles, le De signis, opuscule d’ekphraseis des statues antiques de Constantinople fondues par les croisés en 1204, peut être considéré comme le témoin d’une esthétique de la contrainte virtuose et de hauts standards littéraires. Ce texte a été employé comme source par de nombreux chercheurs, tant historiens qu’historiens de l’art (Reinach, Grecu, Cutler, Dagron, Papamastorakis), et encore tout récemment dans le projet « Byzantium1200 », projet de reconstitution virtuelle en 3 dimensions du paysage monumental de Constantinople (www.arkeo3d.com/byzantium1200). L’éclairage que nous souhaitons donner à ce texte est moins historiographique que littéraire : en partant d’une double source, les conclusions de Gilbert Dagron sur la relation des Byzantins aux statues et les travaux de Martin Steinrück qui montrent l’existence et le maintien de deux traditions opposées, le style catalogique et le style périodique de l’époque archaïque à l’époque byzantine, nous souhaiterions souligner le caractère poïétique, (auto)référentiel et théorique de certains passages du De signis. De fait, on peut déceler une lecture assez fine de ces deux traditions formelles décrites par Aristote (Rhétorique et Poétique), que Nicétas réutilise pour les mettre au service de sa prose dans une allégorie de la Rhétorique, qui ne représenterait donc pas une statue réelle mais une figure inventée pour les besoins de sa prosopopée. L’enjeu est une mise en évidence de nos concepts de norme, de vérité et de mensonge dans l’écriture de l’Histoire et, de ce fait, une tentative de comprendre les choix herméneutiques à opérer lors de la lecture et de l’étude d’un texte byzantin.