IIe édition des Rencontres annuelles des doctorants en études byzantines
16-17 octobre 2009
Institut National d’Histoire de l’Art (Paris)
Résumés des communications.
Ammaedara (Tunisie) : la ville byzantine, état des connaissances.
Elsa Rocca (Université de Paris IV-Sorbonne)
Dans le cadre d’un doctorat en archéologie sur l’agglomération antique d’Ammaedara et sa campagne (village actuel d’Haïdra, situé au centre ouest de la Tunisie), une communication portant sur la ville de l’Afrique byzantine peut être proposée. Un exposé sommaire du site à travers les problématiques développées par le sujet de thèse pourrait précéder la présentation des données connues sur la cité byzantine et les questions associées à cette thématique. Les limites chronologiques du sujet correspondent à la fondation de la colonie au Ier siècle de notre ère et à la conquête islamique au milieu du VIIe siècle, qui met fin à la présence byzantine en Afrique. La cité est intégrée dans l’Empire byzantin au milieu du VIe siècle avec la reconquête du nord de l’Afrique par Justinien. Un certain nombre d’édifices témoigne de la permanence de la ville au VIe et au VIIe siècle, comme la citadelle justinienne, plusieurs églises restaurées ou construites à cette époque ou encore l’arc dit de Septime Sévère transformé en bastion à l’entrée de la ville. Les monuments byzantins d’Ammaedara sont signalés dès le début du XIXe siècle par les premiers explorateurs et archéologues. Dans les années 1960, les églises ont fait l’objet des premiers travaux de la Mission archéologique à Haïdra sous la direction de Noël Duval. La citadelle et ses aménagements intérieurs sont étudiés depuis 1991 dans le cadre de la Mission franco-tunisienne dirigée dorénavant par le professeur François Baratte et par le Directeur Général de l’Institut national du patrimoine, Fathi Béjaoui. L’étude de ces monuments dans le cadre de la thèse s’intègre à une réflexion sur la topographie, sur les transformations du paysage urbain et les limites de l’agglomération, que l’on tente d’analyser en relation avec l’occupation de la proche campagne.
La sculpture architecturale byzantine de la péninsule de Cnide. Importations et productions locales : les problèmes liés à la méthode de datation.
Gabriella Lini (Université de Genève / Pontifico Istituto di Archeologia Cristiana de Rome)
Au début des années 1970, cinq églises protobyzantines ont été excavées sur le site de Cnide, (Anatolie occidentale) sans avoir fait par la suite l’objet d’une publication détaillée de la part des archéologues qui les ont mises au jour. Une sixième église, bâtie dans le périmètre du nymphée monumental, avait quant à elle été dégagée au milieu du XVIIIe siècle par Sir Charles T. Newton. De ces édifices religieux, seuls quatre conservent encore un certain nombre d’éléments architecturaux sculptés. En outre, la majorité de ceux-ci proviennent de la grande église qui, depuis la terrasse centrale de la ville, dominait le port commercial.
Pour compléter le catalogue de la sculpture architecturale de la péninsule de Cnide, il convient d’ajouter aux éléments retrouvés dans le périmètre de l’ancienne cité une dizaine de pièces diverses conservées à Yaziköy, deux plaques de chancel récemment découvertes sur le site d’Emecik, ainsi que deux chapiteaux de meneau provenant de la région de Datça.
S’il apparaît évident que tous les éléments recensés appartiennent à des typologies bien connues des Ve et VIe siècles, il est néanmoins permis de se demander si, en l’absence quasi-totale d’autres éléments de datation, on peut uniquement se baser sur des critères stylistiques pour déterminer leur période de fabrication.
En effet, des particularités se dégagent de l’analyse de ces pièces. Certaines ont ainsi été
sculptées ex novo dans des blocs de marbre importés, alors que d’autres ont été réalisées à partir de remplois provenant d’édifices d’époque hellénistique ou romaine. Par ailleurs, l’exécution du travail n’est pas uniforme : la qualité peut en effet varier considérablement d’une pièce à l’autre, le décor étant même resté dans quelques cas au stade d’ébauche. Ces divergences nous renvoient par conséquent non seulement aux problèmes liés à une datation stylistique, mais également à ceux de l’organisation des ateliers et du travail des sculpteurs.
Préfigurations mariales dans l’art byzantin avant l’époque paléologue
Svetlana Sobkovitch (EPHE, 5e section)
Fréquente dans la peinture monumentale des derniers siècles de Byzance, la représentation des figures vétérotestamentaires de l’Incarnation est pourtant déjà présente dans l’art des époques précédentes. Comme l’a démontré suite à l’hypothèse de N. Belyaev O. E. Etingof, les bases de cette prolifération sont préparées au 9e – 12e siècle, avec des exemples de la représentation des « types » marials dans les supports variés.
Le mécanisme de la représentation typologique basé sur l’association des scènes des deux Testaments est ainsi établi à l’époque post-iconoclaste, dans les psautiers à l’illustration marginale de la seconde moitié du 9e siècle. Les modèles iconographiques des scènes typologiques tardives se basent également sur les schémas élaborés dans les œuvres médiobyzantines, dont les manuscrits et les icônes.
Ancrées dans l’exégèse, les iconographies en question sont présentes avant tout dans ces supports destinés à un public intellectuel, restreint. Cependant, l’association des figures et des paroles prophétiques à la représentation de la réalisation néotestamentaire de ces oracles se trouve aux époques de l’avant les Paléologues tant dans les supports « savants », tels que les manuscrits et les icônes, que dans les décors monumentaux.
Portails des églises de la Serbie moravienne : l’état des recherches et les questions ouvertes.
Jasmina S. Cirić (Faculté de Belgrade)
Depuis longtemps l’intérêt porté à la décoration des portails, à leur iconographie et à leur signification est présent dans les sciences médiévales. À la différence des recherches approfondies sur les époques romanes ou gothiques, la littérature d’histoire de l’art concernant les portails byzantins est d’un cadre plus restreint. Le sujet, dont on parlera, traite des portails des églises de la Serbie moravienne, où ont eu lieu de grandes entreprises de l’architecture tardive byzantine. Les portails diffèrent selon leur situation ou leur fonction dans le cadre de la liturgie, les dimensions, la taille des pierres et la décoration.
Dans les observations, notamment l’analyse formelle, il est indispensable de faire attention aux interprétations faites jusqu’à présent, des problèmes de conservation et de restauration, ainsi que la reconstitution du contexte particulier d’idées où ces portails avaient été produits. La position des portails était directement liée avec la peinture. C’est pourquoi, avec la structure architecturale, le répertoire des motifs, la place et le nombre des portails dans les narthex et les absides latérales, le rôle de la peinture placée le long des portails, seront examinés d’une façon plus détaillée. Au sujet du programme bien conçu de la peinture, auquel appartiennent les présentations des fondateurs, des moines hésychastes fameux et des saints guerriers, l’hypothèse bien fondée se pose : les portails dans l’église byzantine tardive représentent l’interprétation et la modification de l’ancienne métaphore biblique du Christ « Je suis la porte. Qui entre par moi, sera sauvé ».
La décoration dans le tympan des portails, en parallèle avec les présentations des fondateurs et des moines, créent ainsi un code visuel sans égal, un espace où se réunissent des significations multiples, issues de l’ensemble sémantique de la décoration sculptée et peinte.
En estimant que les erreurs et leurs conséquences peuvent être graves, nous avons essayé de démontrer certains problèmes des recherches connues, les questions ouvertes et nouvelles perspectives de la recherche liées aux portails et l’architecture de la fin du Moyen Âge en Serbie.
La reine Hélène d’Anjou et la rhétorique du pouvoir princier dans le Royaume némanide au XIIIe et XIVe siècle.
Alexandra Vukovitch (E.H.E.S.S. / Cambridge)
La reine Hélène dite « d’Anjou », connue principalement dans l’ouvrage de l’archevêque Daniel II dans sa Vie de Sainte reine Hélène dans les Vitae Regum et Arhiepiscoporum Serbiae, demeure une figure énigmatique du royaume némanide du XIIIe siècle. Le déficit de travaux sur cette figure historique rend l’évaluation de son rôle dans le royaume némanide difficile. Cependant, selon la littérature dynastique, les chartes et les sources archéologiques, il est évident que la reine Hélène avait un rôle important dans son apanage à Zeta en tant qu’administratrice et mécène des édifices religieux. L’archevêque Daniel II décrit la reine en tant que mère des rois, vecteur de la concorde entre ses fils, mécène dans son apanage et en Terre Sainte et sainte. En effet, la Vie de la reine Hélène est composée de plusieurs éléments qui créent des topoi littéraire pour la représentation de la reine. Outre sa valeur d’ « histoire sacrée » et sa dimension idéologique, la Vie de la reine Hélène a une dimension « intellectuelle » et « rhétorique ». Daniel II emploie des termes récurrents pour décrire la reine : sa nature douce, sa piété, son érudition, sa charité, son rôle d’autocrate bienveillant et les manifestions corporelles de sa dévotion envers Dieu. Cependant, le rôle de la reine en tant que fondatrice des églises et monastères catholiques dans les régions littorales de son apanage n’est pas évoqué dans sa Vie car Daniel II vise surtout la commémoration de la reine dans sa fondation dynastique, l’église dédiée à la Mère de Dieu à Gradac. En outre, le cérémonial de la commémoration, au moment de l’enterrement de la reine, sert à légitimer la sainteté familiale et dynastique et la « canonisation » qui suit, fixe quasi-officiellement Gradac comme lieu chargé de mémoire qui sera un point de repère dans l’histoire sacrée des rois némanides. Les enjeux historiques de la figure de la reine Hélène, ses origines latines et son identité culturelle catholique, forment un prisme à travers lequel l’étude des relations entre le royaume némanide, Byzance et l’Occident peut se réaliser.
La Pouille byzantine et lombarde (VIe-XIe siècles). Paysages, territoires et sociétés d’un espace de frontière à la périphérie de l’Occident.
Giovanni Stranieri (Université Lyon 2 / E.H.E.S.S.)
À partir de la fin du VIe siècle, la région de la Pouille, en Italie méridionale, devient une zone-frontière aux marges des mondes byzantin, lombard et, plus tard, arabe. Dans le courant des VIIe-VIIIe s., la Pouille subit la déstructuration du système urbain, territorial et économique tardo-antique et intègre en grande partie le duché lombard de Bénévent. Toutefois, elle reste toujours dans l’orbite de Byzance, qui contrôle l’extrême sud de la région, autour du port d’Otrante. Plus tard, dans la seconde moitié du IXe s., l’Empire rétablira son pouvoir sur toute la région, avant que celle-ci ne soit définitivement réintégrée à l’Occident par les Normands, dans le cadre d’un inédit et durable ensemble sud-italien : le Regnum Siciliae.
Quelles sont les répercussions de ces bouleversements politiques, ethniques et militaires sur le peuplement, l’habitat, les paysages et la production agraire, en un mot sur l’organisation des espaces et des sociétés régionales ?
Pour répondre à cette question, un programme d’archéologie des paysages a été mis en place. Son objectif consiste à : 1) caractériser les transformations des espaces apuliens, entre le VIe et le XIe s. ; 2) définir la part spécifique de ces changements qui peut être attribuée au partage de la région entre sphères politiques, économiques et culturelles différentes.
Si la lecture archéologique du terrain est au cœur de la problématique et de la méthodologie de ce programme de recherches, d’autres sources sont sollicitées, dans un cadre résolument interdisciplinaire : il s’agit de la relecture régressive des données géohistoriques fournies par les rares sources byzantines et lombardes puis par les sources médiévales et modernes, de la linguistique historique, de l’histoire du droit et des coutumes.
Dans le cadre de ces Rencontres, seront présentés, d’abord, la problématique et le cadre méthodologique de ces recherches, puis, une étude de cas portant sur l’analyse archéologique des délimitations agraires de la région. Ces dernières, qui se présentent sous la forme d’imposantes murailles en pierre sèche, ont révélé un très important potentiel d’information lors d’une opération de fouille menée récemment et dont la publication dans la revue « Archeologia Medievale » n° 36 (Edizioni All’Insegna del Giglio, Firenze, Italia) est imminente.
Les commanditaires aristocratiques à Byzance entre les royaumes de Basile Ier et de Basile II (867-1025) : Constantinople, la Grèce et l’Asie Mineure.
Livia Bevilacqua (Université de Rome-La Sapienza)
On a voulu par cette recherche se concentrer sur un phénomène qui jusqu’à présent a été abordé de façon systématique seulement pour d’autres époques de l’histoire de l’art byzantin ou bien, en ce qui concerne l’époque macédonienne, presque exclusivement par rapport aux commanditaires impériaux ou, excepté ces derniers, par rapport à certains personnages, œuvres ou monuments aristocratiques. Le but a donc été de reconstruire, le plus possible dans son ensemble, le milieu de la production artistique de haut niveau, soit à Constantinople soit hors de la capitale, liée aux commanditaires de l’entourage impérial: hauts fonctionnaires civils, militaires, membres de la cour.
Dans ma thèse j’ai exposé analytiquement seulement des cas choisis et emblématiques, mais le corpus d’œuvres et de données documentaires qu’on est arrivé à rassembler pendant ce travail est remarquable et très étendu, surtout grâce à l’aide de la lecture directe des sources historiques, littéraires, épigraphiques et, en ce qui concerne les pièces emportées dans les collections occidentales, aussi des sources d’archives. Ainsi, l’étude des œuvres d’art a été toujours rapportée à la biographie, culture et intérêts des leurs commanditaires. Ce travail interdisciplinaire nous offre donc maintenant des inspirations prometteuses en vue d’approfondir de nombreux thèmes et problèmes identifiés pendant la recherche.
La vie de Porphyre de Gaza par Marc le diacre (BHG3 1570) : la conversion du temple de Marnas en église chrétienne.
Anna Lampadaridi (Université de Paris IV-Sorbonne)
La Vie de Porphyre est un texte hagiographique de l’époque protobyzantine qui se présente comme l’œuvre de Marc le diacre, un personnage inconnu par ailleurs qui se donne pour le fidèle disciple du saint dont il raconte la vie. La datation du texte pose des problèmes : écrit après la mort du saint en 420, et semble-t-il, peu après, un emprunt à l’Histoire Philothée de Théodoret oblige à dater l’état du texte dont nous disposons après 440. Dès l’époque de Tillemont, la Vie de Porphyre s’est trouvée au centre d’un grand débat concernant sa valeur historique, à cause des anachronismes qu’elle contient. Porphyre joue un rôle clé dans la christianisation de Gaza, qui vers la fin du IVe s. est encore une cité majoritairement païenne. Le point culminant de son activité et, en même temps, le noyau du récit est la démolition du temple principal de la ville et l’édification sur ses débris de l’église eudoxienne. La Vie nous offre un des rares récits, et peut-être le seul, qui décrive de façon si vivante et pittoresque comment la christianisation d’un sanctuaire païen a eu lieu. Cependant, cette église n’est pas connue par ailleurs, sauf deux témoignages de St. Jérôme de valeur ambiguë, et son existence n’est pas confirmée par l’archéologie. En outre, la conversion d’un temple en église est souvent considérée comme un phénomène postérieur à l’époque à laquelle le récit de la Vie prétend se référer, à savoir le début du Ve siècle. C’est ce dernier point qui va nous intéresser. Nous essayerons de voir si la construction d’une église sur les débris d’un temple païen à Gaza au début du Ve siècle pourrait avoir une substance historique. À travers l’examen du phénomène des transformations des temples en églises dans sa diversité nous mettrons en évidence des catégories générales. En situant l’épisode décrit par Marc dans ce contexte, nous jugerons de sa substance historique en montrant que rien n’oblige à le considérer comme anachronique.
Yuhanna al-Armani al Qudsi, peintre arménien copte dans l’Égypte ottomane du XVIIIe siècle.
Julien Auber de Lapierre (E.P.H.E. , 5e section)
A partir de la fin du XVIIe siècle, le pouvoir égyptien assouplit quelque peu sa politique envers les populations coptes. Du fait de cette baisse de rigueur de la Sublime Porte, les élites égyptiennes, qui se sont entourées d’intendants et de trésoriers coptes depuis près de neuf siècles, s’enrichissent mutuellement, engendrant de fait un climat plus apaisé entre les communautés. Cependant, selon la loi islamique en vigueur, les coptes ne sont pas autorisés à construire de nouvelles églises dans leurs quartiers, tant et si bien qu’ils vont restaurer celles déjà existantes. Toutes les églises connaissent alors de profonds remaniements architecturaux et décoratifs encore largement visibles de nos jours.
C’est par ce biais exceptionnel que s’illustre le peintre d’icônes Yuhanna al-Armani al-Qudsi, dont l’activité s’étend au Caire de 1740 à 1786. Bien que les informations biographiques le concernant soient très peu nombreuses, nous savons que ce peintre est né au Caire, de parents arméniens d’origine hiérosolymite. Il s’est ensuite marié consécutivement à deux femmes Egyptiennes coptes dont il eut quatre enfants. Cet attachement profond à la société copte révèle sa particulière bonne intégration au tissu social chrétien cairote.
Les informations que nous avons pu réunir sur la carrière de cet artiste nous replacent dans la lignée des productions artistiques des guildes des naqqashun, des rassamun, et des musawwirun, références ottomanes distinguant la qualité de travail des peintres. Avec une production de près de cinq cents panneaux, y compris avec son collaborateur Ibrahim al-Nasikh, Yuhanna al-Armani a rapidement évolué entre ces différentes corporations avant d’atteindre le statut de maître. Certaines pièces de Yuhanna reflètent parfaitement les ascendants arméniens, proche-orientaux et occidentaux que celui-ci a pu recevoir tout au long de sa carrière. Son travail a ainsi largement contribué au renouveau de l’art chrétien dans l’Egypte ottomane.