JULIEN AUBER de LAPIERRE – Yuhanna Al-Armani al Qudsi, peintre arménien

Yuhanna al-Armani al Qudsi, peintre arménien copte dans l’Égypte ottomane du XVIIIe siècle.
Julien Auber de Lapierre (E.P.H.E. ,  5e section)

A partir de la fin du XVIIe siècle, le pouvoir égyptien assouplit quelque peu sa politique envers les populations coptes. Du fait de cette baisse de rigueur de la Sublime Porte, les élites égyptiennes, qui se sont entourées d’intendants et de trésoriers coptes depuis près de neuf siècles, s’enrichissent mutuellement, engendrant de fait un climat plus apaisé entre les communautés. Cependant, selon la loi islamique en vigueur, les coptes ne sont pas autorisés à construire de nouvelles églises dans leurs quartiers, tant et si bien qu’ils vont restaurer celles déjà existantes. Toutes les églises connaissent alors de profonds remaniements architecturaux et décoratifs encore largement visibles de nos jours.

C’est par ce biais exceptionnel que s’illustre le peintre d’icônes Yuhanna al-Armani al-Qudsi, dont l’activité s’étend au Caire de 1740 à 1786. Bien que les informations biographiques le concernant soient très peu nombreuses, nous savons que ce peintre est  né au Caire, de parents arméniens d’origine hiérosolymite. Il s’est ensuite marié consécutivement à deux femmes Egyptiennes coptes dont il eut quatre enfants. Cet attachement profond à la société copte révèle sa particulière bonne intégration au tissu social chrétien cairote.

Les informations que nous avons pu réunir sur la carrière de cet artiste nous replacent dans la lignée des productions artistiques des guildes des naqqashun, des rassamun, et des musawwirun, références ottomanes distinguant la qualité de travail des peintres. Avec une production de près de cinq cents panneaux, y compris avec son collaborateur Ibrahim al-Nasikh, Yuhanna al-Armani a rapidement évolué entre ces différentes corporations avant d’atteindre le statut de maître. Certaines pièces de Yuhanna reflètent parfaitement les ascendants arméniens, proche-orientaux et occidentaux que celui-ci a pu recevoir tout au long de sa carrière. Son travail a ainsi largement contribué au renouveau de l’art chrétien dans l’Egypte ottomane.

ANNA LAMPADARIDI – La vie de Porphyre de Gaza par Marc le Diacre

La vie de Porphyre de Gaza par Marc le diacre (BHG3 1570) : la conversion du temple de Marnas en église chrétienne.
Anna Lampadaridi (Université de Paris IV-Sorbonne)

La Vie de Porphyre est un texte hagiographique de l’époque protobyzantine qui se présente comme l’œuvre de Marc le diacre, un personnage inconnu par ailleurs qui se donne pour le fidèle disciple du saint dont il raconte la vie. La datation du texte pose des problèmes : écrit après la mort du saint en 420, et semble-t-il, peu après, un emprunt à l’Histoire Philothée de Théodoret oblige à dater l’état du texte dont nous disposons après 440. Dès l’époque de Tillemont, la Vie de Porphyre s’est trouvée au centre d’un grand débat concernant sa valeur historique, à cause des anachronismes qu’elle contient. Porphyre joue un rôle clé dans la christianisation de Gaza, qui vers la fin du IVe s. est encore une cité majoritairement païenne. Le point culminant de son activité et, en même temps, le noyau du récit est la démolition du temple principal de la ville et l’édification sur ses débris de l’église eudoxienne. La Vie nous offre un des rares récits, et peut-être le seul, qui décrive de façon si vivante et pittoresque comment la christianisation d’un sanctuaire païen a eu lieu. Cependant, cette église n’est pas connue par ailleurs, sauf deux témoignages de St. Jérôme de valeur ambiguë, et son existence n’est pas confirmée par l’archéologie. En outre, la conversion d’un temple en église est souvent considérée comme un phénomène postérieur à l’époque à laquelle le récit de la Vie prétend se référer, à savoir le début du Ve siècle. C’est ce dernier point qui va nous intéresser. Nous essayerons de voir si la construction d’une église sur les débris d’un temple païen à Gaza au début du Ve siècle pourrait avoir une substance historique. À travers l’examen du phénomène des transformations des temples en églises dans sa diversité nous mettrons en évidence des catégories générales. En situant l’épisode décrit par Marc dans ce contexte, nous jugerons de sa substance historique en montrant que rien n’oblige à le considérer comme anachronique.

LIVIA BEVILACQUA – Les commanditaires aristocratiques à Byzance

Les commanditaires aristocratiques à Byzance entre les royaumes de Basile Ier et de Basile II (867-1025) : Constantinople, la Grèce et l’Asie Mineure.
Livia Bevilacqua (Université de Rome-La Sapienza)

On a voulu par cette recherche se concentrer sur un phénomène qui jusqu’à présent a été abordé de façon systématique seulement pour d’autres époques de l’histoire de l’art byzantin ou bien, en ce qui concerne l’époque macédonienne, presque exclusivement par rapport aux commanditaires impériaux ou, excepté ces derniers, par rapport à certains personnages, œuvres ou monuments aristocratiques. Le but a donc été de reconstruire, le plus possible dans son ensemble, le milieu de la production artistique de haut niveau, soit à Constantinople soit hors de la capitale, liée aux commanditaires de l’entourage impérial: hauts fonctionnaires civils, militaires, membres de la cour.

Dans ma thèse j’ai exposé analytiquement seulement des cas choisis et emblématiques, mais le corpus d’œuvres et de données documentaires qu’on est arrivé à rassembler pendant ce travail est remarquable et très étendu, surtout grâce à l’aide de la lecture directe des sources historiques, littéraires, épigraphiques et, en ce qui concerne les pièces emportées dans les collections occidentales, aussi des sources d’archives. Ainsi, l’étude des œuvres d’art a été toujours rapportée à la biographie, culture et intérêts des leurs commanditaires. Ce travail interdisciplinaire nous offre donc maintenant des inspirations prometteuses en vue d’approfondir de nombreux thèmes et problèmes identifiés pendant la recherche.

GIOVANNI STRANIERI – La Pouille byzantine et lombarde

La Pouille byzantine et lombarde (VIe-XIe siècles). Paysages, territoires et sociétés d’un espace de frontière à la périphérie de l’Occident.
Giovanni Stranieri (Université Lyon 2 / E.H.E.S.S.)

À partir de la fin du VIe siècle, la région de la Pouille, en Italie méridionale, devient une zone-frontière aux marges des mondes byzantin, lombard et, plus tard, arabe. Dans le courant des VIIe-VIIIe s., la Pouille subit la déstructuration du système urbain, territorial et économique tardo-antique et intègre en grande partie le duché lombard de Bénévent. Toutefois, elle reste toujours dans l’orbite de Byzance, qui contrôle l’extrême sud de la région, autour du port d’Otrante. Plus tard, dans la seconde moitié du IXe s., l’Empire rétablira son pouvoir sur toute la région, avant que celle-ci ne soit définitivement réintégrée à l’Occident par les Normands, dans le cadre d’un inédit et durable ensemble sud-italien : le Regnum Siciliae.

Quelles sont les répercussions de ces bouleversements politiques, ethniques et militaires sur le peuplement, l’habitat, les paysages et la production agraire, en un mot sur l’organisation des espaces et des sociétés régionales ?

Pour répondre à cette question, un programme d’archéologie des paysages a été mis en place. Son objectif consiste à : 1) caractériser les transformations des espaces apuliens, entre le VIe et le XIe s. ; 2) définir la part spécifique de ces changements qui peut être attribuée au partage de la région entre sphères politiques, économiques et culturelles différentes.

Si la lecture archéologique du terrain est au cœur de la problématique et de la méthodologie de ce programme de recherches, d’autres sources sont sollicitées, dans un cadre résolument interdisciplinaire : il s’agit de la relecture régressive des données géohistoriques fournies par les rares sources byzantines et lombardes puis par les sources médiévales et modernes, de la linguistique historique, de l’histoire du droit et des coutumes.

Dans le cadre de ces Rencontres, seront présentés, d’abord, la problématique et le cadre méthodologique de ces recherches, puis, une étude de cas portant sur l’analyse archéologique des délimitations agraires de la région. Ces dernières, qui se présentent sous la forme d’imposantes murailles en pierre sèche, ont révélé un très important potentiel d’information lors d’une opération de fouille menée récemment et dont la publication dans la revue « Archeologia Medievale » n° 36 (Edizioni All’Insegna del Giglio, Firenze, Italia) est imminente.

ALEXANDRA VUKOVITCH – La reine Hélène d’Anjou et la rhétorique du pouvoir princier

La reine Hélène d’Anjou et la rhétorique du pouvoir princier dans le Royaume némanide au XIIIe et XIVe siècle.
Alexandra Vukovitch (E.H.E.S.S. / Cambridge)

La reine Hélène dite « d’Anjou », connue principalement dans l’ouvrage de l’archevêque Daniel II dans sa Vie de Sainte reine Hélène dans les Vitae Regum et Arhiepiscoporum Serbiae, demeure une figure énigmatique du royaume némanide du XIIIe siècle. Le déficit de travaux sur cette figure historique rend l’évaluation de son rôle dans le royaume némanide difficile. Cependant, selon la littérature dynastique, les chartes et les sources archéologiques, il est évident que la reine Hélène avait un rôle important dans son apanage à Zeta en tant qu’administratrice et mécène des édifices religieux. L’archevêque Daniel II décrit la reine en tant que mère des rois, vecteur de la concorde entre ses fils, mécène dans son apanage et en Terre Sainte et sainte. En effet, la Vie de la reine Hélène est composée de plusieurs éléments qui créent des topoi littéraire pour la représentation de la reine. Outre sa valeur d’ « histoire sacrée » et sa dimension idéologique, la Vie de la reine Hélène a une dimension « intellectuelle » et « rhétorique ». Daniel II emploie des termes récurrents pour décrire la reine : sa nature douce, sa piété, son érudition, sa charité, son rôle d’autocrate bienveillant et les manifestions corporelles de sa dévotion envers Dieu. Cependant, le rôle de la reine en tant que fondatrice des églises et monastères catholiques dans les régions littorales de son apanage n’est pas évoqué dans sa Vie car Daniel II vise surtout la commémoration de la reine dans sa fondation dynastique, l’église dédiée à la Mère de Dieu à Gradac. En outre, le cérémonial de la commémoration, au moment de l’enterrement de la reine, sert à légitimer la sainteté familiale et dynastique et la « canonisation » qui suit, fixe quasi-officiellement Gradac comme lieu chargé de mémoire qui sera un point de repère dans l’histoire sacrée des rois némanides. Les enjeux historiques de la figure de la reine Hélène, ses origines latines et son identité culturelle catholique, forment un prisme à travers lequel l’étude des relations entre le royaume némanide, Byzance et l’Occident peut se réaliser.